De la plaine des Flandres aux monts du Jura, de la porte de Bourgogne au cap d’Antibes, courrait jadis une frontière, rattachant à la couronne des rois de France les nouvelles provinces conquises à l’Est par les armées de Louis XIV, le Roi Soleil. Durant les trois siècles qui suivirent ce rattachement, des générations d’ingénieurs militaires rivalisèrent d’imagination pour concevoir et réaliser, le long de cette frontière, une succession de défenses de pierre, de béton et d’acier garantissant l’inviolabilité de ces nouvelles « marches » du territoire de France. Commissaire général aux fortifications, puis maréchal de France, Vauban est le plus célèbre d’entre eux. Il est incontestablement le maître à penser de tous les architectes militaires qui lui ont succédé et dont les oeuvres architecturales ornent encore beaucoup de nos paysages.
La Fortification bastionnée
Pendant plusieurs siècles, la construction de hautes murailles est restée le système le plus adéquat pour se protéger. Mais une fois parvenus au pied des remparts, les assaillants sont difficiles à éliminer s’ils s’installent dans les angles morts où les projectiles des défenseurs ne peuvent les atteindre. Pour résoudre ce problème dit du « flanquement », on construit des tours « flanquantes » et on double les places fortes, au tracé trop rectiligne, d’une nouvelle enceinte suivant des lignes brisées. Ainsi naît la « fortification bastionnée ».
Dans la deuxième moitié du XVe siècle, le boulet métallique remplace le boulet de pierre. Plus lourd et plus dur que ce dernier, il donne à l’artillerie une efficacité jusqu’ici inégalée pour ébranler et percer les remparts des châteaux et forteresses du Moyen Age. Il faut donc arrêter l’assaillant le plus loin possible du mur d’enceinte, et pour cela multiplier à l’avant les dispositifs qui retarderont sa progression : demi-lunes, contre-gardes, tenailles et ouvrages à couronne ou à cornes font leur apparition. Aux XVIIè et XVIIIè siècles la fortification bastionnée adopte des formes géométriques de plus en plus sophistiquées pour adapter l’échiquier aux nouvelles performances des grosses pièces d’artillerie.
L’architecte militaire du Roi Soleil
Quand le marquis de Vauban accède à la fonction d’ingénieur du jeune roi Louis XIV, il n’a lui-même que 22 ans. La fortification bastionnée est une référence incontestée depuis sa codification par Jean Erard, en 1594, et la nomination du comte Blaise de Pagan au poste de commissaire général aux fortifications. Sans systématisation, mais en s’adaptant sans cesse au terrain et au relief, Vauban porte cette technique à son plus haut point de perfection : il améliore tout d’abord le système défensif des places fortes existantes par la construction d’une double enceinte de remparts, en forme pentagonale, reliée par une galerie souterraine.
Pour éviter qu’une fois un bastion pris, une face des deux bastions voisins ne soit plus défendue, il sépare les premiers remparts protégeant la ville de la deuxième ligne de défense où il aménage des batteries sur « cavaliers ». Son perfectionnement ultime aboutira au troisième système, à Neuf-Brisach en Alsace où il construit, ex nihilo, une cité dans un plan octogonal lui-même inscrit dans une étoile de 800 m de diamètre, entourant une ville en damier. Mêlant ses talents de grand architecte à des qualités d’urbaniste et de stratège militaire, Vauban applique, dans les neuf places fortes qu’il crée de toutes pièces, des principes qui concilient la rigueur esthétique et les exigences de la logistique : un plan en damier dans une enceinte octogonale permet une distribution parfaitement fonctionnelle des bâtiments publics et des habitations groupées autour d’une place centrale carrée destinée aux manœuvres et aux parades. Seules les portes de ville échappent à cette rigueur car Vauban tient à leur conserver un décor sculpté à la gloire du roi. A la mort du Maréchal Vauban, en 1707, ses disciples, Jacques Stuart Berwick et Louis de Cormontaigne, nommés comme lui commissaire général aux fortifications, achèveront l’œuvre de leur maître.
Face aux nouveaux progrès de l’artillerie dont la portée et la précision s’améliorent sans cesse, Marc Montalembert entoure les citadelles de ses prédécesseurs d’une nouvelle enceinte de sûreté , constituée de forts détachés se flanquant mutuellement et eux mêmes flanqués de caponnières, situées dans les fossés. Au XIXe siècle, les citadelles de Vauban et de ses disciples constituent encore l’essentiel du système de fortification des territoires de l’Est. Elles sont néanmoins toujours insuffisantes en nombre car elles laissent entre elles de vastes espaces non protégés où l’ennemi peut s’engouffrer. Elles sont surtout de plus en plus inadaptées pour arrêter un envahisseur qui disposerait de canons à tube rayé, car cette nouvelle invention augmente considérablement la portée et les performances des pièces d’artillerie. La fortification du pays fut notamment poursuivie par François Nicolas Benoit HAXO
François Nicolas Benoît Haxo (1774 – 1838)
Né lorrain, originaire de Lunéville ( Meurthe-et-Moselle ), capitaine à 22 ans, François Nicolas Benoît Haxo participe aux campagnes de 1794 et 1795 dans les armées de la République.
En 1796, il est élève de la toute nouvelle Ecole Polytechnique, créée deux ans auparavant. Ingénieur, il entreprend des travaux de fortifications aux frontières. Sous le premier empire, en 1810, il mène les travaux du fort de Bard ( Jura ) puis des fortifications en Italie, suivies d’autres pour améliorer la défense du détroit des Dardanelles, en Turquie. C’est en 1811 que Napoléon Ier le nomme à la tête du génie de l’armée d’Allemagne où il exécute de gros travaux à Meldin, à Dantzig où il créée des batteries casematées. Gouverneur de la place de Magdebourg puis chef du génie de la Garde impériale en 1813, sa carrière ne s’arrête pas à la chute de l’Empire car, sous la Restauration, il exerce les fonctions d’inspecteur général des fortifications. Durant plusieurs années, il oeuvre aux fortifications frontalières, à la remise en état de forteresses essentielles à la défense du royaume.
Le fort de Tournoux, noyau du dispositif stratégique de la vallée de l’Ubaye
Accroché à un éperon rocheux au-dessus de Condamine-Chatelard, dominant la rive droite de l’Ubaye, l’ouvrage le plus impressionnant de la vallée de l’Ubaye s’étend sur plus de 700 mètres de dénivelé.
Dès 1709, les Français installent sur les rochers de Tournoux un camp retranché destiné à combattre les Savoyards et les Piémontais.
La construction de l’ouvrage est décidée en 1837 par le général Haxo, directeur des fortifications sous la monarchie de Juillet. Les travaux débutent en 1843 pour s’achever en 1866, et nécessitent le concours de 1 500 ouvriers. À la fin du XIXème siècle, le général Séré de Rivières prescrit le renforcement du dispositif par des ouvrages supérieurs culminant à plus de 1 800 mètres d’altitude : sont notamment édifiées les batteries de Viraysse, de Mallemort, de Cuguret, et la redoute de Roche-la-Croix. Des tunnels de liaison sont percés dans la roche entre les parties hautes de la forteresse, et un téléphérique disparu depuis – relie la batterie haute et le fort moyen à la vallée en contrebas. Lors du premier conflit mondial, le fort accueille des volontaires serbes, formés militairement avant d’aller combattre, puis sert de lieu d’emprisonnement pour des soldats allemands.
En juin 1940, le fort abrite les postes de commandement des unités défendant la vallée de l’Ubaye. Il connaît le baptême du feu, et ses tirs d’artillerie se joignent à ceux des ouvrages plus modernes pour arrêter les troupes italiennes.
En avril 1945, le fort constitue la base française des troupes qui reprennent les ouvrages de Saint-Ours et de Roche-la-Croix aux Allemands.
Le fort sert de dépôt de munitions jusqu’en 1987.
Disposé en escalier sur une arête, le fort de Tournoux est composé d’un fort supérieur et d’un fort moyen, reliés par une route sinueuse.
Le fort supérieur est doté d’un bâtiment de forme carrée, et dispose d’un tunnel conduisant à une double caponnière. L’escarpe est dotée de casemates voûtées.
L’accès au fort moyen se fait par une porte d’entrée fortifiée dotée d’un pont en bois. Il est composé d’un pavillon d’officiers et d’une caserne assis sur le terre-plein des bastions, et se distingue par ses chambrées desservies par de longues coursives métalliques fixées à la roche. Des locaux troglodytes à vocation logistique sont aménagés à l’intérieur de cavernes creusées.
Le fort moyen est complété par une batterie casematée en 1934.
Surnommé le » Versailles militaire du XIXème siècle « , souvent comparé à une muraille de Chine miniature ou à une lamaserie tibétaine, cet ensemble majestueux accroché à la pente abrupte constitue dès le milieu du XIXème siècle le noyau du dispositif stratégique de la vallée de l’Ubaye.
Raymond Séré de Rivières (1815-1895)
Né a Albi le 20 mai 1815,
Polytechnicien, officier du génie, Général de brigade en 1871. 1862 : il organise la place de Nice. 1864-68 : il construit quatre forts à Metz. 1869 : il fortifie Langres. 1870 : il fortifie Lyon. 1871 : commande le génie de l’armée de l’Est ; puis participe aux opérations menées contre la Commune de Paris en assiégeant des fortifications. Il a ensuite la tâche d’instruire le procès du maréchal Bazaine. 1872 : il est nommé secrétaire du Comité de défense créé par le président de la République A. Thiers 1874 : nommé chef du service du génie de l’Armée, il peut dès lors appliquer ses principes de fortification. Promu général de division, il érige de 1874 à 1880 un système fortifié de Dunkerque à Toulon, qui porte son nom. Ce système avait pour but de couvrir la mobilisation et d’obliger les éventuels envahisseurs à s’engager dans les couloirs géographiques prédéterminés, sous le feu de points d’appui défensifs. 1880 : en janvier, à 65 ans, il est remplacé par son successeur, le général Cosseron de Villeneuve, qui achève ses travaux.
Après 1870, le général Séré de Rivières envisage la possibilité pour les ennemis potentiels de contourner la forteresse de Tournoux par Restefond et les Granges Communes. La batterie de Cuguret est construite de 1884 à 1886. En 1889, on construit le bâtiment du poste optique et, en 1891, une caserne extérieure dotée d’ une boulangerie. Dans la même période, on creuse un fossé sur le front de gorge et on pourvoit l’ enceinte de trois caponnières. Deux postes circulaires, semblables à ceux de Vallon Claus, pour cinq hommes chacun, sont construits en 1892-93. L’ un des deux sert de second poste de télégraphie optique. L’ enceinte est rectangulaire à l’ arrière et tenaillée à l’ avant. Elle est occupée par un fossé, en partie muni d’ une contrescarpe. L’ escarpe est surmontée d’ un chemin de ronde et est flanquée de deux caponnières doubles et d’ une simple. Les deux premières sont couvertes d’ une dalle de béton. A l’ intérieur de l’ enceinte se trouvent des casemates de logement voûtées en berceau surbaissé, un terre-plein de batteries, un abri en sous-sol comportant une citerne et un magasin à poudre sous roc. La porte de l’ ouvrage est précédée d’ un pont-levis. L’ ensemble est en maçonnerie de moellons. La caserne extérieure est un bâtiment rectangulaire en rez-de-chaussée couvert d’ un toit de tôles à deux pans. Le petit bâtiment rectangulaire du poste optique est construit en pierre de taille en ce qui concerne son soubassement et en brique pour la partie supérieure. Quant aux postes, ce sont des bâtiments cylindriques construits en moellons, à pièce unique et couverts d’ une dalle de béton
Le Système Séré de Rivières : 1830 – 1914
Malgré l’apparition, en 1859, de l’artillerie à canon rayé et, quelque temps après, des obus de forme cylindro-ogivale, les ingénieurs militaires du Second Empire restent fidèles au concept de la fortification bastionnée. Sous l’impulsion des jeunes chefs militaires de l’époque, et en particulier du lieutenant-colonel Séré de Rivières, commandant le Génie militaire, Napoléon III décide ainsi de combler les espaces interstitiels entre les citadelles par un « rideau défensif » constitué de « forts détachés ». C’est à Metz, où il est affecté, que Séré de Rivières engage, en 1867, la construction de quatre « forts détachés » pour faire de cette place forte un vaste camp retranché que l’ennemi n’osera pas laisser sur ses arrières. Mais en 1870, ces forts détachés sont contournés par les armées prussiennes. Par une habile manœuvre d’encerclement, elles enferment l’armée du Maréchal Bazaine dans la place de Metz. L’armée de l’Empereur est quant à elle encerclée à Sedan. La défaite de 1871 oblige la toute jeune République à signer le traité de Francfort et à accepter l’annexion de l’Alsace et de la Moselle dans l’empire allemand. Sur plusieurs centaines de kilomètres, entre Longwy et Belfort, la barrière fortifiée conçue par Vauban est éventrée, la route vers Paris est grande ouverte. Nommé directeur du Génie au ministère de la Guerre, le général Séré de Rivières est convaincu qu’il faut absolument recréer une ligne de fortifications, le long de la nouvelle frontière entre la France et l’Allemagne. La loi du 17 juillet 1874 lui offre une enveloppe de 700 000 millions de francs or pour la construction et l’armement de 166 forts, 43 petits ouvrages et plus de 250 batteries le long de la nouvelle frontière avec l’Allemagne, mais aussi dans les Alpes, face à l’Italie. Il entreprend donc aussitôt la construction de deux rideaux défensifs, le premier sur les côtes de la haute vallée de la Moselle, entre EPINAL et BELFORT, le second sur les côtes de la Meuse, entre TOUL et VERDUN, qui sont désormais les villes frontalières du Nord Est. Il renforce également la fortification des citadelles de Langres, Dijon et Besançon, de Longwy, Montmédy et Givet qui constituent alors des bases arrières pouvant stopper l’ennemi si celui-ci venait à tenter une percée par les trouées de Charmes sur la Moselle ou de Stenay sur la Meuse. Commencés en 1874, côté Epinal par les forts d’Uxegney, du Parmont et de Rupt, et coté Toul par les forts du Mont St Michel, d’Ecrouves, de Dongermain et de Villey-le-Sec, les travaux se poursuivront durant onze ans, jusqu’en 1885. Victime d’intrigues, le général Séré de Rivières se retira en 1880, laissant derrière lui un système de fortifications cohérent et ambitieux, mais qui s’avérera inefficace dès 1883, avec l’apparition de la mélinite, ce nouvel explosif qui donne à l’artillerie des capacités que Séré de Rivières n’avait pu imaginer.
La crise de « l’obus torpille »
En 1883, les chercheurs français mettent au point une nouvelle poudre explosive, la mélinite, qui permet de charger des obus et de les faire exploser soit sous l’effet du choc avec l’obstacle, soit au bout d’un temps réglable, avant ou après l’obstacle. Les expériences menées sur les forts de la région parisienne donnent des résultats accablants : les voûtes et les murs de pierre ne résistent pas à ce nouvel obus torpille. Il faut donc renforcer, par une croûte épaisse de béton, la plupart des forts Séré de Rivières, cacher les pièces d’artillerie en les plaçant, comme sur les navires de guerre, à l’intérieur de coupoles cuirassées et dans des tourelles à éclipse.
André Maginot (1877-1932)
André Maginot est né à Paris le 17 février 1877 et meurt à Paris le 6 janvier 1932.
Auditeur au conseil d’Etat à 23 ans, André Maginot est élu député de la Meuse en 1910. Il se spécialise dans l’étude des questions militaires. Plusieurs fois secrétaire d’Etat et ministre, il est sous-officier durant la Grande Guerre, et est très grièvement blessé. En tant que ministre de la Guerre de 1922 à 1924 et de 1929 à 1932, il active la réalisation du programme de fortifications. Le 28 décembre 29, il présente aux députés son projet de loi de financement qui est voté le 14 janvier 1930 accordant sur cinq ans 2 900 millions de francs pour la défense terrestre des frontières. Par des additifs, le total des crédits s’élève à 3 442 millions à la fin de 1930 avec cette répartition en coûts de travaux : 55 % pour la Lorraine, 26 % pour l’Alsace, 10 % pour les Alpes.
Fin 1936, le système défensif est terminé, baptisé » ligne Maginot » par les journalistes, ayant coûté environ 5 milliards de francs soit 1,6 % des dépenses budgétaires de la période 1930-36.
Il meurt en 1932, emporté en quelques jours par la typhoïde.
La Ligne Maginot
En 1919, l’Alsace et la Lorraine redeviennent des provinces françaises. Mais rien n’est acquit à jamais. Conscient du caractère éphémère des garanties du Traité de Versailles, le gouvernement français veut à tout prix éviter qu’une invasion semblable à celle de 1914 puisse à nouveau se produire.
Une « Commission de Défense du Territoire » est créée et placée sous l’autorité du Général Guillaumat. Elle propose en 1925 l’édification d’un « système discontinu de régions fortifiées » le long de toute la frontière de l’Est, de la mer du Nord à la Méditerranée. Succédant en 1929 au ministre de la Guerre, Paul Painlevé, André Maginot fait voter par le Parlement, le 14 janvier 1930, un budget de 2.900 millions de fr. pour construire, en 5 ans, une nouvelle ligne de défense fortifiée, quasi continue, qui portera bientôt son nom.
Sur plus de 700 kilomètres, des Ardennes au Sud de l’Alsace, mais aussi de la Savoie à la Côte d’Azur, cette « Grande Muraille » de béton et d’acier sera constituée de trois types d’ouvrage d’artillerie, partiellement enterrés et reliés entre eux par des galeries souterraines donnant également accès à des casernements, des casemates à vivres, des soutes à munitions et des usines de production d’électricité.
On construisit au total 44 gros ouvrages d’artillerie, 62 ouvrages moyens d’infanterie 365 casemates, 17 observatoires, 89 abris d’intervalle, plus de 150 tourelles de tous types, des milliers de blockhaus légers et toute une infrastructure arrière de voies ferrées, de routes militaires et de casernements. A l’intérieur des plus grands ouvrages, des trains électriques relient les blocs d’artillerie aux soutes à munitions et au casernement où pourront séjourner des régiments d’infanterie de forteresse (RIF), des régiments d’artillerie de position (RAP) et des unités du Génie et des Transmissions totalisant jusqu’à 1.000 hommes.
Héritière d’une vielle tradition militaire de la fortification, la « Ligne Maginot » restera elle aussi inachevée, malgré le 1,77 milliard de Francs voté en complément du budget initial, lorsque, le 10 mai 1940, Hitler fait envahir la Hollande, la Belgique et le Luxembourg, puis marcher sur Paris. Lorsque l’Armistice sera signée, le 25 juin 1940, la Ligne Maginot, et les 25.000 hommes qui y ont été affectés, combattront derrière les lignes allemandes. Il faudra un ordre du Grand Quartier Général français pour les contraindre à abandonner leurs armes, leurs munitions et leur position. Ce n’est d’ailleurs que le 4 juillet 1940 que les défenseurs de l’ouvrage du Michelsberg s’y résigneront et prendront contre leur gré le chemin de la captivité en Allemagne.
La Ligne Maginot n’est pas qu’une succession d’ouvrages de béton sans grand intérêt au plan architectural. C’est aussi un ensemble de galeries souterraines que l’on peut parcourir en wagonnets, tractés par des petites locomotives électriques et conduisant à des installations qui témoignent des progrès de la technologie française au début du XXe siècle dans le domaine de la construction mécanique, de la production d’électricité, du conditionnement de l’eau et de l’air.
C’est là aussi que parfois, pour vaincre leur isolement, les mobilisés de 1939 ont peint, comme les hussards du Second Empire et les poilus de 1914-18 l’avaient fait sur les murs intérieurs des forts Séré de Rivières, des fresques qui témoignent du talent artistique de certains d’entre eux et de l’influence de Walt Disney, en France, dans les années 30.
Description, organisation d’un gros ouvrage de la ligne Maginot.
Le terme « gros ouvrage » ne figure pas dans le vocabulaire de l’époque. Il est couramment utilisé pour désigner les ouvrages « palmés », servis par des équipages de 500 à 1.000 hommes, possédant généralement 2 entrées (hommes et munitions) et 6 à 17 blocs de combat. On les distingue des petits ouvrages (1 à 4 blocs et 100 à 200 hommes), des casemates d’infanterie, des observatoires et des abris (jusqu’à 250 hommes). Dans le Nord-est, on compte : – 22 gros ouvrages, – 36 petits ouvrages, – environ 350 casemates d’infanterie, – 14 observatoires isolés, – 55 abris.
Un ouvrage Maginot est avant tout une « machine de guerre », souterraine, comportant des blocs de combat à l’avant et toute la logistique pour les ravitailler depuis l’arrière et les faire fonctionner. Les blocs de combat se déclinent en combinaisons multiples à partir de plans types : – casemates comprenant de 1 à 4 créneaux de canons, – tourelles à double canon, – tourelles et créneau de canon, – tourelles de mitrailleuses, – observatoires d’infanterie,¿
A ces éléments sont souvent associés des cloches de guetteurs fusilier-mitrailleur, des jumelages de mitrailleuses, des canons anti-chars, des lance-grenades, etc,.. Les blocs de combat sont reliés par des puits verticaux ayant souvent une trentaine de mètres de hauteur et comportant 1 à 2 monte-charge à munitions à un réseau de galeries de plusieurs kilomètres de longueur, équipées de voies de 60. Ces voies servent au ravitaillement des blocs de combat en munitions stockées dans un magasin principal (M1), situé à l’arrière près de l’entrée des munitions, et dans des magasins secondaires (M2) situés au pied des blocs.
Des monorails permettent le transfert des casiers à munitions des magasins sur les wagons, puis des wagons vers les monte-charge, puis des monte-charge vers les blocs. Les entrées des munitions peuvent être de plain-pied (cas du SIMSERHOF et du HACKENBERG), en plan incliné ou en puits (cas de FERMONT). Les caisses de munitions sont acheminées de l’extérieur par train (SIMSERHOF et HACKENBERG) ou par camions (FERMONT, où la voie ferrée n’a jamais été raccordée). Les douilles suivent le chemin inverse sauf qu’elles descendent des blocs de combat vers les galeries par des toboggans hélicoïdaux. Pour faire fonctionner tous ces équipements, il faut, d’une part une usine, et d’autre part une caserne et son intendance. L’usine doit essentiellement produire et distribuer l’énergie électrique et traiter l’air. Les gros ouvrages Maginot comportent des centrales électriques autonomes comprenant généralement 4 groupes électrogènes diesel, d’une puissance totale pouvant atteindre 1.000 kW. Les capacités des réservoirs pour assurer une autonomie de 3 mois en temps de guerre atteignent 400 m3 de gas-oil et 400 m3 d’eau de refroidissement. L’alimentation électrique par l’arrière, par lignes aériennes ou enterrées (temps de guerre), ne fut réalisé qu’ultérieurement, à partir de 1936 Le courant électrique est distribué sous plusieurs tensions d’utilisation : – Force : 440 v ou 220 v alternatif – Eclairage : 110 v alternatif – Train : 600 v continu – Tourelles des blocs de combat : 110 v continu – Etc. Pour transporter sans trop de pertes le courant électrique sur plusieurs kilomètres de l’arrière vers l’avant, il faut élever sa tension à 3.000 V Le réseau électrique comporte donc de nombreux organes de transformation (transformateurs, convertisseurs) et de volumineux tableaux implantés dans la grande salle électrique de l’usine ou dans des sous-stations réparties dans l’ouvrage.
Le système de ventilation est très complexe. Il doit assurer la bonne qualité de l’air dont les sources de pollution sont multiples, notamment en temps de guerre : – Pollutions internes : gaz des tirs de l’armement (CO), gaz de combustion des groupes électrogènes, air vicié par la présence de l’équipage, risques de feux de câbles. – Pollutions externes : gaz de combats. Le principe repose sur le traitement de l’air par compartiments étanches séparés les uns des autres par des sas : usine, casernement, blocs, P.C., etc. Dans chaque compartiment, l’air neuf (« pur » ou « dégazé » par filtration) est insufflé et réparti par des gaines dans chaque compartiment, mis en surpression. L’air vicié est évacué par un réseau séparé (exemple : gaine de descente des douilles dans les blocs). Les gaz d’échappement et les gaz des tirs sont évacués directement.
Chaque ouvrage comporte également :
– Un ou plusieurs puits d’alimentation en eau avec citerne de stockage et réseau de distribution, – Un réseau d’égouts généralement gravitaire, – Un réseau de transmission téléphonique et radio. La vie et le logement des hommes nécessitent une caserne avec chambres, locaux sanitaires, cuisines, infirmerie ainsi que des logements aux postes de combat.
Enfin, l’ouvrage est commandé par un P.C. situé au centre des blocs de combat.
Texte tiré de l’expertise technique de 25 sites et ouvrages militaires en Lorraine (2e liste) : ouvrages et sites de la ligne Maginot. Groupement Ellipse-Marquis-Bouquot Doyelle-Girardet-Lepick-Truttmann . mars 2000. L’étude est propriété du ministère de la Défense
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